L’ONDRAF célèbre cette année ses quarante ans. Un anniversaire marqué par la première étape de la Belgique vers un stockage en profondeur de ses déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie. Dans cette interview, Marc Demarche revient sur cette étape essentielle pour l’ONDRAF, prélude à un large débat sociétal en 2023.
Le 22 novembre dernier, un arrêté royal a été publié au Moniteur belge. Il entérine la décision de principe d'un stockage en profondeur des déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie sur le territoire belge, et pose les bases servant à fixer, à un stade ultérieur et dans un cadre clair, les modalités de mise en œuvre. Celles-ci seront progressivement fixées dans le cadre d’un processus décisionnel participatif, transparent et par étapes qui conduira au choix d’un ou des sites de stockage.
Marc, tout d’abord de quels déchets s’agit-il ?
« L’arrêté royal porte sur deux catégories de déchets : les déchets de faible ou moyenne activité et de longue durée de vie, que nous appelons déchets de catégorie B, et les déchets de haute activité, qui sont les déchets de catégorie C.
Les déchets de faible ou moyenne activité et de longue durée de vie (déchets B) proviennent proviennent d'une part, des activités historiques de retraitement en Belgique et, d'autre part, de l'exploitation et du démantèlement des centrales nucléaires
Les déchets de haute activité (déchets C) comprennent notamment les déchets vitrifiés issus du retraitement du combustible nucléaire usé et les combustibles usés eux-mêmes s’ils ne sont pas retraités. Ces déchets dégagent de la chaleur.»
De quelles quantités parle-t-on ?
« Pour le stockage des déchets de faible ou moyenne activité et de longue durée de vie (déchets B), nous prévoyons un volume total d'environ 9 100 m³. Il s’agit du volume des colis de déchets, sans tenir compte de l’emballage supplémentaire. Pour le stockage des déchets de haute activité (déchets C), nous prévoyons un volume total hors emballage d'environ 2 800 m³. »
Comment sont-ils gérés aujourd’hui ?
« Ces déchets se trouvent aujourd'hui à Dessel, sur le site exploité par notre filiale Belgoprocess. Ils y sont entreposés en toute sûreté dans différents bâtiments prévus à cet effet : plus l'intensité de leur rayonnement est élevée, plus les murs en béton des bâtiments d’entreposage sont épais.
Mais il s’agit là d’une solution de gestion provisoire. Les déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie doivent être isolés de l’homme et de l'environnement pendant des centaines de milliers d'années. Or, les bâtiments d’entreposage ont une durée de vie limitée, après quoi ils doivent être systématiquement remplacés. Ils ne garantissent pas la sûreté à long terme et ne constituent donc pas une option valable comme destination finale. »
Un débat sociétal sera organisé début 2023. Quel en est l’objectif ?
« La décision de principe en faveur du stockage en profondeur constitue la toute première étape d'un processus qui devrait aboutir à la sélection d'un ou plusieurs sites où une installation de stockage en profondeur pourra être établie. Ce processus durera plusieurs décennies et comprendra une série de décisions, dont la dernière consistera à choisir un ou plusieurs sites pour ce stockage.
En 2023, la Fondation Roi Baudouin organisera un débat sociétal avec des acteurs institutionnels, des universitaires et des experts mais aussi avec des organisations de la société civile et la population, en accordant une attention toute particulière à la jeune génération. Ce débat déterminera comment la décision de principe liée au stockage en profondeur peut se traduire dans la pratique. Il s’agira de répondre notamment aux questions suivantes : Quelles sont les prochaines décisions à prendre ? Qui prépare ces décisions et de quelle manière ? Quels critères techniques, financiers et sociétaux permettent de revenir sur une décision ? Comment se déroulera le choix du ou des sites ? Quelles sont les conditions techniques, sociétales et sécuritaires à remplir pour construire une installation de stockage ? Comment pouvons-nous contrôler cette installation et éventuellement en récupérer les déchets ? Existe-t-il des variantes pour le stockage en profondeur ? Ce sont autant de questions spécifiques qui seront abordées au cours de ce débat public.
Le débat sociétal doit donc amener l'ONDRAF à proposer au gouvernement la deuxième partie de la politique nationale, laquelle portera plus particulièrement sur le processus décisionnel. En outre, il servira également à confirmer ou modifier, si nécessaire, le choix du stockage en profondeur sur le territoire belge. »
Comment se déroulera ce débat ?
« Via plusieurs outils de participation, la Fondation Roi Baudouin consultera un panel large et diversifié de citoyens, d'experts, d’hommes et de femmes politiques, d'universitaires, d'acteurs institutionnels, du grand public, avec une attention particulière pour les jeunes générations. Un rapport final assorti de recommandations sera établi. Ces recommandations permettront à l’ONDRAF de proposer au gouvernement la deuxième partie de la politique nationale. L'ONDRAF s'engagera dans ce débat en tant qu'expert. Notre mission consistera à informer et partager les connaissances que nous avons accumulées au cours des dernières décennies. »
Pourquoi et comment comptez-vous impliquer les jeunes générations ?
« Nous parlons ici d'un projet qui s’étalera sur plusieurs décennies. Les décisions qui seront prises auront un impact sur la sûreté des générations contemporaines et sur celle des centaines de générations à venir.
C’est pourquoi la participation des jeunes est cruciale puisqu’ils sont les acteurs et décideurs de demain. Mais il faut avant tout les informer sur cette thématique. Nous disposons de plusieurs outils pour cela. Tout d’abord notre centre de visiteurs Tabloo, à Dessel, qui propose une exposition interactive et des parcours pédagogiques pour les enfants de l’enseignement primaire et secondaire. Tabloo s’adresse également aux étudiants de l’enseignement supérieur et aux adultes de tout âge qui y retrouveront les informations nécessaires pour nourrir leurs réflexions.
En plus, à l’occasion de nos quarante ans, nous avons coopéré avec le Belgian National Orchestra et la jeune artiste belge Eva L’Hoest. Cette coopération a débouché sur une œuvre inédite : Firebird. Il s’agit d’un croisement entre musique classique et arts visuels autour de la thématique de l'énergie nucléaire et des défis liés à la gestion des déchets radioactifs. Une première représentation a eu lieu le 2 décembre dernier. Trois autres représentations seront données les 13 et 14 janvier pour les jeunes et les familles. Avant ces représentations, les jeunes participeront à des ateliers et un espace sera prévu pour débattre de la gestion des déchets radioactifs. »
L’ONDRAF est-il coutumier du dialogue et de la participation citoyenne ?
« C'est une démarche que nous avons apprise progressivement au cours de nos 40 années d'existence. Nous sommes passés d'une organisation ayant une approche rationnelle et proposant des solutions techniques à une organisation proposant une approche sociétale participative qui intègre ces solutions techniques.
Cela n’a pas été un apprentissage facile, mais je suis fier de dire que cette approche participative est aujourd’hui inscrite dans notre ADN. Elle fait partie intégrante de l'identité de l'ONDRAF, comme en témoigne déjà le projet de stockage en surface des déchets de faible ou moyenne activité et de courte durée de vie (déchets de catégorie A). »