Pourquoi la gestion des déchets radioactifs nécessite-t-elle des recherches éthiques ?
L’ONDRAF est à la pointe dans l’analyse des défis éthiques que représente la gestion à long terme des déchets radioactifs de haute activité et/ou de longue durée de vie. La gestion de ces déchets est non seulement une question technico-scientifique, mais aussi une question de société qui génère des défis éthiques importants que nous étudions depuis 2014. En effet, les décisions que nous prendrons concernant la gestion de ces déchets auront encore un impact sur de très longues périodes, certaines pendant des centaines de milliers d'années. De plus, des incertitudes subsisteront toujours au moment où ces décisions devront être prises.
35.000 générations
Les déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie doivent être isolés de l’Homme et de l’environnement durant des centaines de milliers d’années, voire un million d’années pour les plus dangereux, ce qui représente un très grand nombre de générations. Pour vous donner une idée, un million d’années correspond plus ou moins à 35.000 générations. L’élaboration d’une solution de gestion pour ces déchets, en l’occurrence le stockage en profondeur, soulève des questions éthiques relevant de l’équité (la justice) intra- et intergénérationnelle, du bien-être ou encore de l’autonomie laissée à la génération actuelle et aux générations futures.
La recherche en éthique nous amène à répondre à plusieurs questions, notamment celles-ci : les risques liés à cette solution de gestion sont-ils répartis de manière juste et équitable au sein de la société ? Par exemple, entre les communautés locales qui accueillent l’installation de stockage et le reste de la société. Il est alors question d’équité intragénérationnelle. Ou cette solution impose-t-elle un fardeau aux générations futures ? Limite-t-elle leur autonomie ? Ces questions-là relèvent en revanche de l’équité intergénérationnelle.
Les matrices éthiques
Pour mener à bien ces études éthiques, nous avons eu recours aux matrices. Il s’agit de tableaux à deux dimensions combinant les parties prenantes concernées par la solution de stockage d’une part, et les principes éthiques d’autre part. Les principes éthiques généralement étudiés sont l’autonomie, l’équité et le bien-être. Les matrices éthiques sont avant tout un outil descriptif : elles décrivent l’effet d’une solution de stockage sur les différentes parties prenantes concernées. Elles ne permettent pas de trancher des conflits de valeurs ou des conflits temporels pour lesquels d’autres outils ou règles sont nécessaires.
Deux options de stockage
Nous avons étudié notamment les impacts éthiques de deux options de stockage des déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie : le stockage en profondeur sans possibilité de récupérer les déchets et le stockage en profondeur avec déchets récupérables pendant une certaine période. Pour cette étude, nous avons pris en considération les principes éthiques de bien-être, de consentement éclairé et de respect de l'équité comme première dimension de la matrice. La deuxième dimension de la matrice, à savoir les parties prenantes potentiellement affectées, comprenait les communautés locales, la société en général, les acteurs étrangers, les générations futures, l'environnement, les travailleurs sur site, les producteurs de déchets, les décideurs politiques et les experts.
Les matrices éthiques temporalisées
Ces parties prenantes peuvent néanmoins constituer des groupes assez disparates, en particulier, les générations futures qui peuvent rassembler toutes les autres catégories dans une autre temporalité. Pour mener à bien une analyse matricielle pertinente, il importe de distinguer, par exemple, les générations futures «proches » de nous des générations futures «lointaines ». En effet, la gestion à long terme des déchets radioactifs de haute activité et/ou de longue durée de vie affectera nos petits-enfants autrement que les personnes qui vivront dans des dizaines de milliers d'années. C’est au cours de la période «proche », qui va d’aujourd’hui aux 300 à 500 prochaines années, que ces déchets et les combustibles usés des centrales nucléaires émettront le plus de chaleur et de rayonnement. On peut imaginer que les générations futures «proches » qui vivront à cette époque conserveront la connaissance de l’emplacement des déchets radioactifs et possèderont les compétences nécessaires pour les gérer. Elles seront peut-être même encore chargées de prendre des décisions à ce sujet. En revanche, les générations futures «lointaines », au-delà des 500 prochaines années, perdront probablement le souvenir de ces déchets et les connaissances nécessaires pour les gérer. Il convient dès lors de faire la distinction entre les générations futures «proches » et «lointaines » lorsque nous étudions les impacts éthiques des options de stockage des déchets.
Afin d’affiner notre matrice, nous avons donc introduit une troisième dimension : le temps. Les impacts éthiques des deux options de stockage ci-dessus ont été étudiés sur les différentes catégories de parties prenantes, non seulement aujourd'hui, mais aussi dans le futur. En pratique, une telle matrice est mise en œuvre en identifiant les intervalles de temps pertinents susceptibles de conduire à des différences en termes d'impacts éthiques sur les parties prenantes. Les matrices éthiques temporalisées permettent de mettre en évidence les conflits intergénérationnels entre les acteurs des générations actuelles et futures, mais aussi entre les générations futures, ainsi que les conflits intragénérationnels entre ces dernières.
Quelles sont les conclusions ?
Nos études éthiques indiquent que la possibilité de récupérer les déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie présente un côté rassurant, par rapport à une éventuelle erreur de jugement de la société actuelle qui voit le stockage en profondeur comme la solution finale. De ce point de vue, la récupérabilité a un aspect positif en termes de bien-être psychologique. En revanche, elle présente des effets négatifs en termes de sûreté, de sécurité et de bien-être de la population. En effet, elle requiert une surveillance accrue de l’installation de stockage (ce qui entraîne des nuisances et de l’inconfort) et elle retarde son basculement en sûreté passive.
La définition des modalités et de la durée de récupérabilité des déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie constitue des défis qui ne peuvent être tranchés uniquement sous l’angle de la science ou de la technique mais pour lesquels une réflexion éthique sera nécessaire. Pour ce faire, il importera de différencier les intérêts des générations futures proches de celles plus lointaines.
La recherche éthique sur le stockage partagé
Les conclusions du débat sociétal lancé en 2023 sur la gestion des déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie évoquaient notamment la nécessité d’élaborer un cadre éthique pour le processus décisionnel ainsi que la piste d’un stockage multinational partagé pour ces déchets. Dans les années à venir, nos experts étudieront à quelles conditions on peut considérer qu’un stockage multinational partagé est une solution éthiquement acceptable. En effet, le risque existe de voir des pays hôtes économiquement vulnérables ou politiquement sensibles accepter des déchets radioactifs sur leur territoire pour en tirer un bénéfice financier et, à l’inverse, de voir certains pays enclins à entrevoir, dans cette option, le moyen de diminuer leur responsabilité sociétale.
Une feuille de route pour la recherche sur le stockage en profondeur jusqu’en 2050
La Belgique mène depuis 40 ans des activités de recherche, développement et démonstration (RD&D) sur le stockage en profondeur des déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie. Cependant, notre pays n’est encore qu’au début d’un processus qui aboutira, dans quelques décennies, à la mise en service d’une ou plusieurs installations de stockage en profondeur.
En savoir plusDernière modification le 06/06/2025