Pourquoi la transmutation ne constitue-t-elle pas une alternative au stockage en profondeur ou géologique ?
Une technologie de séparation et de transmutation réussie ne pourrait convertir qu'une petite partie des substances radioactives à longue durée de vie contenues dans les déchets en substances radioactives à plus courte durée de vie. En outre, sa faisabilité industrielle n'a pas encore été démontrée. Par ailleurs, les autres substances radioactives de longue durée de vie présentes dans les déchets devront également être gérées en toute sûreté pendant des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers d'années.
Les technologies de séparation et de transmutation (S&T) ne constituent donc pas une alternative au stockage en profondeur ou géologique. Ceci résume la position commune de l'ONDRAF et du SCK CEN, détaillée dans un position paper commun. Une position que partagent d’ailleurs les organisations de gestion des déchets réunies au sein de l'EDRAM (International Association for Environmentally Safe Disposal of Radioactive Materials).
Deux technologies
Lors de la séparation, les substances radioactives présentes dans les combustibles nucléaires usés sont réparties en différents groupes : par exemple, en uranium (95 %), en produits de fission et d'activation (4 %), en plutonium (1 %) et en actinides mineurs (0,1 %).
Ensuite, lors de la transmutation, certains éléments radioactifs spécifiques de longue durée de vie du groupe des actinides mineurs (0,1 %), comme l'américium par exemple, pourraient être transformés en substances radioactives de plus courte durée de vie et moins nocives. Néanmoins, la transmutation ne peut s’appliquer aux produits de fission et d’activation qui contiennent également des éléments radioactifs de longue durée de vie, comme l'I-129 (dont la demi-vie atteint 16 millions d'années), le Cs-135 (2,3 millions d'années), le Se-79 (356 000 ans) ou encore le Tc-99 (214 000 ans). Ce sont ces éléments qui jouent le rôle le plus important dans la dose de rayonnement émanant d'une installation de stockage.
La faisabilité industrielle
La faisabilité industrielle de la S&T reste à démontrer. En outre, l'application à l'échelle industrielle n'a de sens et n'est concevable que dans ce que l'on appelle un cycle fermé du combustible, avec la réutilisation du Pu dans des réacteurs (nouveaux et rapides) pour la production d'électricité, combinée à un nouveau type de réacteur pour la transmutation à l'échelle industrielle. Il s'agit du réacteur de type ADS (accelerator-driven system, ou réacteur piloté par un accélérateur de particules), qui est à l’étude dans le cadre du projet MYRRHA du SCK CEN.
Pour parvenir à l'efficacité visée, le combustible devra subir plusieurs cycles de réutilisation qui, combinés, pourraient atteindre un siècle (ou davantage). Ces réacteurs produisent à leur tour des déchets radioactifs de courte et longue durée de vie qui devront être gérés en toute sûreté.
D'un point de vue financier, cela ne sera faisable que si cette technologie peut être mise en œuvre dans un contexte international.
Impact potentiel sur les flux de déchets des centrales nucléaires actuelles
La réussite de la transmutation à l'échelle industrielle de certains actinides mineurs, associée à la réutilisation continue du plutonium dans de nouveaux réacteurs (cycle fermé du combustible), a principalement un impact positif sur le volume, les émissions thermiques et la radiotoxicité des déchets provenant des combustibles usés des réacteurs nucléaires.
Une transmutation réussie à l'échelle industrielle signifie concrètement que la quantité de ces déchets particuliers de longue durée de vie et de haute activité, qui génèrent de la chaleur, serait considérablement réduite. Mais la transmutation n'est possible qu'au moyen de nouveaux réacteurs nucléaires et d'installations nucléaires dédiées à la séparation et la transmutation, qui doivent encore être construits et qui produiront à leur tour de nouveaux déchets radioactifs de courte et longue durée de vie.
Pas pour tous les déchets
En outre, la transmutation n'est pas applicable aux déchets vitrifiés issus des combustibles usés qui ont été retraités dans le passé. Ce retraitement est un processus dans lequel l'uranium et le plutonium encore fissibles sont recyclés pour produire de nouveaux éléments combustibles. Les déchets séparés au cours de ce processus, y compris les actinides mineurs, ont été confinés dans une matrice de verre dans des fûts en acier inoxydable (déchets dits «vitrifiés »). Ces déchets de haute activité et de longue durée de vie ne peuvent plus faire l'objet d'une séparation et d'une transmutation approfondies, ce qui leur vaut parfois leur qualification de «déchets ultimes ».
Quel serait l’impact des combustibles usés des centrales nucléaires actuelles sur l’installation de stockage ?
Étant donné que la transmutation combinée à la réutilisation continue du plutonium (cycle fermé du combustible) peut réduire le volume des déchets de haute activité générateurs de chaleur, ce type de déchets nécessiterait moins de galeries de stockage. De plus, la distance entre ces galeries de stockage, nécessaire en raison de la production de chaleur des déchets de haute activité, pourrait être réduite. Un cycle fermé du combustible avec S&T à l'échelle industrielle permettrait ainsi d'optimiser la conception et de réduire l'empreinte du stockage des combustibles usés des centrales nucléaires actuelles. Mais la construction d’une installation de stockage reste absolument indispensable.
Le risque radiologique
En ce qui concerne la sûreté d'un stockage en profondeur ou géologique, il convient de distinguer radiotoxicité et risque radiologique. La radiotoxicité est une mesure de la nocivité en cas d’ingestion directe des déchets. Celle-ci diminue certes dans le cas de la S&T. Ce n'est pertinent que dans des situations très exceptionnelles où, en cas d'intrusion (par exemple lors d'opérations de forage), des travailleurs entreraient en contact direct avec les déchets et les absorberaient.
Le risque radiologique fait référence à l'exposition au rayonnement de substances radioactives qui, dans un scénario normal, aboutiraient après une très longue période dans les eaux souterraines et y seraient fortement diluées. La S&T combinée à la réutilisation continue du plutonium (cycle fermé du combustible) n'a que peu ou pas d'effet sur ce risque radiologique. En effet, la S&T n'est pas applicable aux éléments qui sont les plus importants pour la dose de rayonnement émanant d'un stockage en profondeur. Les défis à relever pour assurer la sûreté à long terme d'une installation de stockage restent donc plus ou moins les mêmes.
Conclusion : pas d'alternative
La S&T, combinée à la réutilisation continue du plutonium dans de nouveaux réacteurs (cycle fermé du combustible), peut conduire à une réduction du volume, du dégagement de chaleur et de la radiotoxicité d'une partie spécifique du flux de déchets radioactifs provenant des centrales nucléaires actuelles. Si cela permet d'optimiser la conception de l’installation de stockage, cela n'a que peu ou pas d'incidence sur sa sûreté à long terme. La S&T à l'échelle industrielle nécessiterait également de nouveaux réacteurs nucléaires pour la production d'électricité (réutilisation du plutonium dans un cycle fermé du combustible) et de nouvelles installations nucléaires pour la séparation et la transmutation des actinides mineurs. Ces nouveaux réacteurs et centrales produiront à leur tour de nouveaux déchets radioactifs qui devront être gérés à court et à long termes. La S&T n'offre donc en aucun cas une alternative au stockage géologique comme solution de gestion à long terme des déchets radioactifs.
Qu'en est-il de la radiotoxicité ?
La radiotoxicité est une mesure de la nocivité en cas d’ingestion directe des déchets. Mais il est évidemment très peu probable que quelqu’un avale ces déchets. Il est vrai qu'un cycle du combustible fermé réussi pour le plutonium, additionné à une transmutation de certains actinides mineurs spécifiques à l'échelle industrielle, pourrait – en théorie – permettre une réduction significative de la radiotoxicité des déchets résiduels des combustibles usés. La radiotoxicité des déchets résiduels serait comparable à celle du minerai d'uranium naturel après plusieurs siècles déjà, plutôt qu'après plusieurs centaines de milliers d'années.
Cependant, le minerai d'uranium naturel est hautement radiotoxique. Cela ne signifie donc pas que ces déchets résiduels seraient devenus inoffensifs après quelques siècles. Ils demeurent des déchets radioactifs, qui doivent être isolés de l'Homme et de l'environnement à court et à long termes.
Dernière modification le 22/04/2025